Pérégrinations en Champagne pour « Quitou Wine Travel »… Notre deuxième voyage.
Troisième fermentation pour les bulles de Champagne ? Non, un voyage de passionnés, mais quelle expédition, à nouveau…
Tout a commencé il y a quelques jours par une annonce presque anodine, vers 7h15 du matin. « Que ceux qui se sentent effrayés par quelques bulles au petit déjeuner lèvent le doigt… ». Pour toute réponse, et sans prendre la peine de feindre l’hésitation, les 35 acteurs de la scène champenoise « Quitou » ne lèvent rien d’autre que leur verre, un geste qui sera répété quelques fois au cours de cette incursion en Montagne de Reims. Le week-end est sur les rails et les dégorgements successifs s’annoncent dans l’unique voie que nous allons emprunter : celle du plaisir et de la découverte effervescente, mais dans le partage.
Contrairement à bien des idées reçues, cette tradition d’introduire l’effervescence de grand matin est largement répandue. Parmi les régions viticoles qui la perpétuent, nous retrouvons la Touraine, où à l’automne (mais pas seulement), avant le départ à la chasse, les bouchons de crémant de Loire sautent joyeusement, servant d’alibi à l’accompagnement des rillettes cuites au chaudron… Dans les caves troglodytiques de Vouvray et Montlouis, la pratique est courante, je l’ai vérifié. Sur le flanc Est de l’Hexagone, les Alsaciens ne sont pas en reste. Dans les établissements sérieux, une vasque présentant différents crémants est placée sur la table du petit déjeuner. Et ce n’est pas pour faire de la figuration ou animer le décor (déjà parfois bien chargé…). Là aussi, le café se retrouve parfois repoussé en second choix…
Encouragés par ces débuts pétillants, nous prenons résolument la route de Reims, pour un premier rendez-vous avec un vigneron local, Christophe Goulin, qui œuvre sur le territoire du petit village de Sacy (Sacis, en latin, signifie « eau salutaire », ça ne s’invente pas), classé en Premier Cru.
Il ne fait pas de bruit, Monsieur Goulin. C’est entre autre pour cela que depuis quelques années, j’éprouve un sentiment de sympathie et de respect pour ce viticulteur champenois qui, dans la lignée de ses parents et grands-parents, a opté pour la sagesse en conduisant le raisin de ses 4 hectares de vignes à la coopérative pour le pressurage et la vinification, tout en plaçant toute son énergie, son talent (et ses moyens) au service de la plante, à la racine du vin.
Quatre hectares de vignes, dont ¾ de la surface plantés en « noirs », Montagne de Reims oblige, pour environ 40 000 bouteilles par an… Et au-delà du visage angélique et souriant de ce charmant quinquagénaire (qui, reconnaissons-le, a quelque peu perturbé une partie de la gent féminine du groupe…), nous nous retrouvons autour de cuvées extrêmement bien élevées, précises, charmeuses (Brut Sélection) et séductrices (Blanc de Noirs) ou épurées et longilignes (Cuvée St Vincent).
Autour d’admirables biscuits de Reims, le groupe prend racine dans son week-end, pose ses premières balises de dégustation (oublions un instant les iconoclastes mais délicieuses cuvées de la Vallée de la Marne, dégustées à « l’aube » (sans jeu de mots facile), et se rassemble autour d’un constat : nul besoin d’assurer la totalité de la chaîne de production pour nous séduire, tant que la matière première, ce raisin que nous aimons tant, est à la hauteur des ambitions affichées par son viticulteur. Il reste alors à maîtriser l’élevage et l’assemblage et de côté-là, notre hôte remplit aisément sa mission.
En résumé, Christophe Goulin, à défaut d’avoir été disert à propos de la vinification de ses cuvées, nous a avant tout conquis par l’équilibre, la sincère typicité et le remarquable rapport plaisir-prix de sa production.
La sanction tombe, inévitable : les commandes affluent. Conscients qu’elles risquent de placer la famille face à un réel défi logistique, nous lui laissons le temps de s’organiser (du moins l’espérions-nous), et prenons la route des vignes toutes proches du petit village de Villedommange pour un pique-nique à peine improvisé sur une colline surplombant les règes. En repassant, nous prendrons nos caisses et nos factures…
Nous voici sur les hauteurs du vignoble, à deviser tranquillement sur les vertus de la craie, de l’exposition, de la densité de plantation, de l’apparente maturité du raisin…
Le temps de reprendre des forces et de faire diversion en dégustant l’un ou l’autre vin tranquille, chacun s’emploie à créer son petit tableau géologique de la Montagne, scellant par ce geste l’union intime de la craie et du pinot noir.
Et nous revenons vers Sacy… où ni factures ni colis n’ont été préparés.
Au-delà des soucis d’horaires qu’entraîne cet imprévu, ce domaine tellement sympathique nous rappelle par le flegme inconditionnel de son propriétaire que notre impatience a un visage bien citadin. Respire, Quitou, respire, nous serons à temps à Verzenay…
Cette fois, pour assurer l’essentiel, le groupe se mobilise et vient en aide aux ressources locales pour la mise en caisses et le décompte des colis, tandis que la calculette de Christophe Goulin vire au rouge, ajoutant au tumulte ambiant…
Le Phare de Verzenay est lui aussi le fruit d’une jolie histoire familiale. A 25 mètres de hauteur, son belvédère offre une vue panoramique sur les vignes en amphithéâtre du flanc de la Montagne de Reims. Assorti d’un écomusée qui suscitera des commentaires diversifiés, il surplombe un océan de vignes et plonge celui qui y voit de l’intérêt dans un retour dans le passé, au début du 20ème siècle, à une époque où Rémois et Sparnaciens se retrouvaient à la belle saison au pied de l’édifice, à la guinguette ou au théâtre.
La visite se déroule selon les motivations de chacun, il est temps de rejoindre l’hôtel car un autre moment fort nous attend et certains souhaitent s’y préparer : une incursion à Epernay, pour un dîner à rallonges…
Avant de partir, une montée au sommet de l’édifice nous offre une vue panoramique sur l’étendue de cet océan de vignes. Et au loin, tout là-bas, les tours de la cathédrale…
Ce repas est avant tout l’occasion pour notre groupe de faire une pause épicurienne, dans le beau salon que le restaurant « Le Théâtre » nous a réservé pour l’occasion.
Le maître des lieux d’origine flamande, Lieven Vercouteren, m’ayant permis d’apporter les vins susceptibles de mettre sa cuisine en valeur, c’est sans demander mon reste, que quelques jours plus tôt et avec une motivation que vous pouvez imaginer, j’avais finalisé mes propositions d’accords gourmands…
Après une traversée pédestre de la célèbre avenue de Champagne, riche de plus de deux siècles d’histoire, réputée pour être la plus chère du monde (par les trésors en centaines de milliers de bouteilles que recèle son sous-sol), notre troupe se surprend à apprécier la halte gourmande dans cette célèbre cité.
Une flûte de bienvenue, sous les « ola » du groupe (les vieux planchers de la bâtisse s’en souviendront – les chevaliers de la table ronde du célèbre Clos de Vougeot nous auraient-ils suivis?), et les hostilités débutent :
- Foie gras de canard au
naturel en terrine (délicieusement tendre tout en restant ferme), accompagné d’un Pinot
gris Grand Cru Osterberg 2005 du domaine Ostermann à Ribeauvillé ; le bougre a de beaux restes et son fruité intense, associé à un sucre résiduel extrêmement raisonnable, trouve là un parfait complice.
- Filet de rouget rôti, pousses d’épinards, sauce vierge, associé au Montagny blanc « Les Guignottes » 2009 du domaine Michel-Andreotti.
L’enveloppement teinté de fraîcheur de ce vin franc au toucher délicat agit en complémentarité avec la texture douce du rouget et sa sauce onctueuse. Jolie association, classique je vous l’accorde.
- Mignons de veau, sauce au Chaource et légumes farcis, mis en valeur par un Givry 1er Cru rouge du Clos Salomon 2008 (qui goûté seul, en a effrayé plus d’un, avant d’offrir à nos papilles une si belle association avec la tendresse du veau et le « crayeux » de la sauce au chaource) ; le pinot noir dans une de ses facettes favorites : faire preuve de caractère avec des notes minérales et fruitées à la fois, sur une structure imposante, et de subtilité par son inégalable soyeux tactile.
– Une assiette de fromages régionaux, bien faits, qui s’apprête à faire face au fabuleux Minervois « L’Envie » 2011 du Clos des Jarres (45% grenache, 25% carignan, 30% syrah, élevé 8 mois en ½ muids) ; celui-là a fait l’unanimité et ses notes de garrigue (thym, laurier), réglisse et petites baies noires s’en donnent à cœur joie pour rappeler aux fromages qu’ils sont presque là pour faire de la figuration…
- Enfin, un duo de chocolat blanc et noir qui, soyons francs, est loin d’avoir fait l’unanimité. Avec du recul, je regrette de ne pas avoir apporté un rivesaltes grenat du Mas Amiel ou un maury de la Préceptorie pour conclure en beauté et nuancer ce petit bémol.
Nous regagnons nos couches, sereins et le sentiment du devoir accompli, non sans rêver à une journée du lendemain porteuse de promesses. Nous ne serons pas déçus…
Avant de reprendre les festivités liquides, une pause à la cathédrale Notre-Dame de Reims nous semble incontournable. Nous voici devant l’invraisemblable bâtisse (moins regroupés qu’à l’habitude, l’appel des biscuits de Reims ayant à nouveau résonné auprès de certaines…).
Connaissant le décalage séparant ma soif de raconter l’histoire des lieux et des hommes de celle – tout aussi respectable – de mes ouailles de goûter les cuvées champenoises, je me résous, non sans remous intimes, à laisser le groupe découvrir librement arcs et colonnes, nefs et vitraux, sans bavardages intempestifs.
Réalisation majeure de l’art gothique du 13ème siècle, son monumental espace nous accueille à l’heure de l’office, quand les orgues résonnent sans relâche, sous les voix du chant choral dominical. Décidément, l’acoustique de ce lieu est phénoménale.
La ville des sacres nous rappelle à l’histoire et secrètement, je m’en réjouis…
Il est temps de rejoindre la Montagne et le petit village de Verzenay, dont la notoriété est assurée par son classement à 100% en Grand Cru. Pas moins de 130 exploitations s’y déploient et 80 d’entre elles élaborent leur propre champagne.
Un personnage haut en couleurs nous y attend : Emmanuel Pithois a du coffre, le verbe facile et de la passion à revendre. Le ton est vite donné, ses éclats de rire résonnant dans tout le village.
Les vendanges sont très proches mais notre homme est serein ; il sait que son raisin atteindra les 9.5° attendus (nous sommes à 8° au moment de notre passage), il ne manque plus grand-chose et le beau temps est annoncé.
Le pressurage débutera dans les 4 heures de l’arrivée du raisin au chai puis le processus classique de vinification champenoise débutera, pour un épilogue d’assemblages prévu en janvier prochain et une mise en bouteilles au tout début du mois de février. Son domaine accorde logiquement la priorité au pinot noir (70%), le chardonnay venant en complément.
Tout est pensé, planifié et la dégustation en cave (bouteilles et vins tranquilles sur fûts) achève de nous convaincre, nous sommes en de bonnes mains. Le Brut non dosé emporte les suffrages par son registre ciselé, de grande pureté, sur la pomme verte et les agrumes et la cuvée Vieilles Vignes, enveloppée et savoureuse, davantage orientée vers les fruits blancs mûrs et le registre pâtissier, révèle un charme certain, illustré par son association de rondeur et de vivacité. Un vin très polyvalent. Quant à la vinosité du rosé qui est ensuite proposé, elle déclenchera quelques achats émotionnels…
Il reste encore à nourrir la troupe et l’épouse de notre Gargantua du jour s’y est fort bien préparée. Avant de mériter la table vigneronne qui nous attend, un passage obligé par la dégustation du ratafia local est de mise. Les verres se « retendent » et certains n’hésiteront pas à y revenir en fin de repas, question de faciliter la digestion bien entendu.
Nos agapes se prolongeront plus longtemps que prévu, l’hospitalité de nos hôtes étant proportionnelle au charme du lieu et à la qualité des victuailles en présence. Epargnés par la pluie, c’est dans le jardin que nous trouvons refuge. Un endroit bucolique dont nous aurons quelques difficultés à nous extraire…
Ce moment de partage avec la famille Pithois restera gravé dans bien des mémoires et plusieurs d’entre nous se font la promesse intime de revenir sur le lieu de leurs exploits dès que l’occasion se présente.
Ayant réalisé qu’à l’image de la veille, les soutes du car allaient subir un important assaut de caisses, nos chauffeurs ont rapproché notre véhicule et le chargement peut débuter.
Nous n’avons pas encore dit notre dernier mot en terre de Champagne.
Retour à Reims où est prévue l’incontournable visite des caves de Vranken Pommery (dont le nom nous rappelle que les Belges sont de plus en plus impliqués dans le visage économique de la région).
Le choc sera rude car un gouffre sépare le contexte de production et de commercialisation de nos deux « petits domaines » de celui du géant bleu. Tout y est impressionnant, à l’exception peut-être des deux cuvées que nous avons dégustées…
Rendons à la Veuve Louise ce qui lui appartient, son œuvre est monumentale. La plongée dans les entrailles souterraines de Cité des Sacres est vraiment
impressionnante.
Nous descendons presque cérémonieusement l’impressionnant escalier de 116 marches mondialement célèbre, pour nous retrouver à 30 mètres de profondeur, près des nappes phréatiques, à l’entrée d’un labyrinthe de galeries de 18 kilomètres de long, à une température constante de 10°C, où s’alignent des millions de bouteilles… 120 crayères pyramidales s’y disséminent au détour des caves les plus impressionnantes de Champagne.
Un discours bien huilé et commercialement réfléchi nous y attend mais soyons francs, cette visite vaut le détour. L’histoire de la Champagne transpire dans ces lieux enfouis, où les vins sommeillent tranquillement, parfois depuis très longtemps.
Au détour de chaque galerie, des flacons de toutes tailles, bien sûr, mais aussi des oeuvres d’art, en lien historique et artistique avec le passé de la maison, ou résolument modernes, intégrées avec plus ou moins de bonheur dans les salles et couloirs crayeux.
Un lieu d’exception, quels que soient les commentaires qu’inspirent ces oeuvres d’artistes, de styles et influences très diversifiés.
Au-delà de l’intérêt évident exprimé par nos wine trotters pour la découverte de ces réalisations, une certaine fébrilité gagne une frange du groupe. Il est temps de confronter l’empreinte laissée par nos dégustations précédentes dans les domaines familiaux à celle des cuvées de la célèbre maison rémoise.
Nous remontons à la surface, pour une dégustation qui fera couler beaucoup d’encre, à défaut d’émotion. Deux cuvées nous attendent, très différentes par leurs styles et ambitions.
Le Brut Royal est un vin bien fait, tendu et rafraîchissant, paré d’un bel équilibre global. Il inspire toutefois moins de commentaires que celui qui va lui succéder, même si les avis divergent. Certains le décrivent comme « aseptisé », « universel » mais sans véritable âme, d’autres lui accordent des vertus d’élégance, le qualifiant de « digeste » et « aérien ».
La dégustation de Brut Millésimé 2005 m’inspire un tout autre commentaire. Les efforts louables de notre guide pour en vanter les mérites nerencontrent que peu d’écho. J’ai beau chercher, sentir, goûter et renouveler l’expérience, ce vin me paraît sérieusement éteint. Profondément surmûri (puissantes notes de pomme blettie), il évoque le champignon et la mousse, ne laissant que très peu de place à la fraîcheur fruitée. Son effervescence est en retrait et semble avoir franchi difficilement l’épreuve de la résistance au temps.
Je guette les réactions de nos dégustateurs, un signe ne trompe pas: le niveau dans les flûtes ne baisse pas vraiment. Connaissant la solide constitution et la soif (de découvertes) des forces en présence, on ne peut que se résoudre à cette conclusion : nous avons le sentiment collégial d’avoir dégusté un vin au crépuscule de sa vie.
Ceci n’enlève toutefois rien au souvenir que nous laisseront ces extraordinaires caves.
Cette fois, l’heure du repli a sonné. Les achats à la boutique de cette prestigieuse maison ayant avoisiné un chiffre peu éloigné du zéro pointé, nous retrouvons nos chauffeurs et prenons la route du retour.
Au terme d’un voyage sans temps morts, qui a permis de si nombreux échanges et partages de ressentis, éclats de rires et plaisirs de dégustation, le bilan dressé est à nouveau extrêmement positif. Différent de notre expédition bourguignonne par bien des aspects, ce week-end a mis en relief les multiples visages du vignoble champenois.
Ça et là, quelques murmures… Deux jours, c’est quand même court. Promis, nous en tiendrons compte, dès notre prochain périple, au printemps prochain.
Que l’Alsace se prépare, nous sommes déterminés à ne pas en rester là.
Les trois jours du week-end de la Pentecôte 2014 ne seront pas de trop pour explorer ses coteaux ensoleillés. Les premières balises de préparation sont posées. L’aventure de « Quitou Wine Travel » se poursuit, plus que jamais !
Merci à tous d’avoir si largement contribué par votre enthousiasme à la réussite de ce séjour champenois. N’oublions pas que de l’autre côté de la Montagne, nous attendent les si jolis méandres de la Vallée de la Marne… Ça vous dirait ?
Q.
Pour en savoir plus sur les vignerons rencontrés:
-
Goulin-Roualet à Sacy
-
Emmanuel Pithois à Verzenay
-
Vranken Pommery à Reims
Comme toujours et comme pour tout, tout est parfait !
Organisation avant et pendant le voyage. Programme et choix des vignerons, restaurants… et article super agréable à lire et à revivre…
Le tout est représenté par de belles photos.
Un moment innoubliable de plus graçe à Quitou.
A bientôt et bonne continuation pour tes projets.
Patricia
Merci, Patricia, pour ce retour… Il est bien agréable de voyager avec des passionnés comme vous! A bientôt pour de nouvelles aventures, alsaciennes cette fois!
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